
Le parc et son histoire












Le parc est classé monument historique depuis 1942, au même titre que le château et son allée de marronniers. Ce classement en fait le premier jardin protégé de l’Isère. Implanté à quelques kilomètres de Grenoble, dans le parc naturel du Vercors et à l’opposé de la Chartreuse, il est marqué par l’omniprésence du calcaire et de la nature environnante. Véritable poumon vert au sein de l’agglomération, il constitue un havre de paix prisé à la fois par les sportifs, les jeunes parents et les personnes âgées. Il représente également un réservoir écologique de premier ordre.
De surcroît, il regroupe trois grands styles majeurs de l’art des jardins : une partie régulière à la française, une partie anglo-chinoise du XVIIIᵉ siècle, et une partie paysagère des années 1850, soit plus de 350 ans d’histoire du jardinage. Un ambitieux projet de restauration de ces espaces a été initié par la Fondation de France entre 2015 et 2019. Nous sommes heureux de vous en présenter les fruits aujourd’hui.
L’entretien du parc se veut raisonné et durable. Nous espérons éveiller votre curiosité et attiser votre sensibilité. Prenez le temps d’observer, d’écouter, de vous émerveiller devant le cycle de la vie rythmé par les saisons.
2000 ans d’occupation du domaine
Dans le cadre de la restauration du parc, des diagnostics archéologiques ont été diligentés par le Service Régional d’Archéologie (SRA) et réalisés par l’Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP), dans le but de documenter l’histoire du site. Deux phases, en 2017 et 2024, ont pu mettre en évidence la trace d’une occupation antique de la période gallo-romaine.
XVIIe siècle : Le jardin à la française
Selon les sources historiques, il existait un jardin régulier d’inspiration italienne au temps du précédent château des barons de Sassenage, détruit en 1661 pour laisser place à l’actuelle demeure.
L’aménagement du domaine lors de la construction du troisième château débute avec une allée d’honneur plantée de tilleuls, démarrant depuis l’Isère pour rejoindre le portail d’entrée du château, soit plus de 500 mètres d’allée. Un mur de clôture est érigé tout autour du domaine, ainsi que des murs intérieurs qui le divisent en deux ensembles paysagers : un jardin d’apparat et un vaste pré de culture planté également d’arbres fruitiers.
D’inspiration classique, la résidence se veut monumentale : allée d’honneur, cour d’honneur alors fermée sur quatre côtés, terrasse, château, dépendances, cour de service, orangerie et jardin des plaisirs.
Le jardin est organisé selon un axe est-ouest partant du portail, traversant le grand salon de réception du rez-de-chaussée — la Salle des États — puis se prolongeant en direction du Vercors jusqu’à un pavillon construit à son extrémité.
Au-devant de la façade, une terrasse ornée de balustres, similaires à celles conservées côté cour, surmonte des parterres et des allées. Au centre, deux bassins sont ornés de fontaines et de jets d’eau. À une centaine de mètres du château, une seconde terrasse sépare cette partie découverte d’une chambre de verdure abritant un labyrinthe. Au fond, le pavillon constitue un lieu de repos et de plaisirs.
Les plantations sont au service de l’ordre et de la géométrie, comme le veulent les inspirations françaises. À la variété et au foisonnement, on préfère l’unité et la ligne droite. Pour les parterres de broderies, Maître Picart est chargé de conduire le buis et les tilleuls pour la composition géométrique. L’orangerie abrite alors 32 orangers en 1680, auxquels s’ajoutent des jasmins et des grenadiers en 1693, pour agrémenter le long de l’allée à la belle saison.
Cet aspect régulier a été conservé sur l’allée et la cour d’honneur, avec des alignements de tilleuls, des parterres avec des magnolias de part et d’autre, ainsi que des buis, ifs et charmilles en topiaire.
XVIIIe siècle : Le jardin anglo-chinois
Au cours du XVIIIᵉ siècle, des jardins d’un genre nouveau apparaissent et remplacent peu à peu la plupart des jardins réguliers. Appelés anglo-chinois, à l’anglaise ou pittoresques, ces jardins puisent leur inspiration dans l’exotisme et dans les richesses de la nature que célèbrent peinture et littérature.
Alors que les jardins classiques proclament la domination de l’homme doué de raison face à la pensée sauvage, les nouvelles réalisations sont l’œuvre d’un homme sensible, qui ne cherche plus à contraindre ni à organiser la nature. Les tracés du jardin anglo-chinois sont libres et effacent le travail de la main du jardinier.
Le château de Sassenage demeure presque inoccupé tout au long du XVIIIᵉ siècle. Ses propriétaires lui préfèrent la cour du Roi à Versailles, où ils s’imprègnent des dernières modes. Lorsque le jardin, âgé de plus d’un siècle, doit être restauré, des courbes sinueuses, mettant à profit le cadre naturel d’exception, succèdent aux tracés géométriques.
L’œuvre est due au pépiniériste, agronome et architecte des jardins Ernest Curten, dit Curten aîné. Il va être l’artisan de cette transformation. Il s’attache à « respecter la main de la nature » et à « diriger les points de vue et faire son possible pour leur faire jouer un rôle dans ses tableaux », en mettant à profit les montagnes environnantes.
Lorsque le promeneur déambule dans le sous-bois ainsi créé, le son des eaux vives, qui s’écoulent dans le lit d’une rivière, accompagne son parcours.
L’amateur de botanique reconnaîtra les arbres issus du pays et ceux rapportés de contrées lointaines. Des éléments comme une petite cascade ou encore un pavillon chinois complètent ce voyage.
Durant cette même période, la cour d’honneur, alors fermée par un portail monumental et une enceinte, fait l’objet d’importants travaux afin de s’ouvrir sur le paysage de la Chartreuse.
Des douves d’agrément et une grille en fer forgé ferment alors la cour côté est, sans constituer une barrière au regard.
XIXe siècle : Le parc paysager
À partir des années 1840, les allées s’élargissent, les boisements se diversifient et les fabriques disparaissent. L’ouverture aux domaines des arts décoratifs et de l’industrie, ainsi qu’une nouvelle conception de la nature, redéfinissent la notion de parc, appelé désormais paysager ou romantique.
Souvent, ils sont — ou paraissent — plus vastes. Les parcs paysagers intègrent le grand paysage, mêlent les formes régulières et irrégulières, et leurs créations se multiplient sur tout le territoire.
Au milieu du XIXᵉ siècle, l’avant-dernier marquis Raymond-Ismidon-Marie de Bérenger souhaite embellir son domaine, tant son « avenue » que sa « prairie » closes de murs. Parisien bercé par les nouveaux aménagements urbains de la capitale, il souhaite élaborer à Sassenage un parc aux accents d’arboretum paysager. Il va faire la rencontre de Claude Honoré Bâche, voyer en chef du département de l’Isère, peintre et architecte des jardins, et partager avec lui leur goût commun pour les jardins.
La plantation de vingt-quatre marronniers dans l’allée d’honneur du château de Sassenage, en 1844, annonce la période de grands travaux qui va mener à la création du parc paysager. Le marquis envisage l’extension de son jardin à l’emplacement du grand pré de fauche et des vergers clos de murs.
En 1850, c’est Monsieur Bâche qui réalise un plan d’aménagement mettant en avant la modération et la simplicité. L’architecte paysagiste se sert du végétal comme ossature du projet, pour répondre aux souhaits du marquis :
déplacer les parties cultivées hors du parc, abattre les murs intérieurs, travailler harmonieusement les transitions entre les différentes parties du parc et le paysage, grâce à des lisières arborées.
Le nouveau projet se compose de trois parties reliées par des allées en courbes, qui permettent de varier la promenade, et ponctuées par l’implantation d’arbres d’espèces nouvelles, isolés ou disposés en bouquet. Le marquis insiste sur les végétaux à mettre en place : « Il faut les varier et harmoniser avec goût et entente, et les planter avec un soin tel qu’ils prennent tous et qu’ils poussent vigoureusement. »
Les voyages du marquis nourrissent sa curiosité, et les plantes qu’il admire dans les différents parcs viennent rejoindre celles déjà acclimatées à Sassenage, pour constituer son nouveau parc paysager. « Je demande à M. Bâche de choisir l’essence des arbres avec le plus grand soin, et d’en varier les plantations de manière à satisfaire la vue, s’abstenant de toute uniformité. »
L’emploi de végétaux exotiques et d’essences à feuillage persistant se développe dans la deuxième partie du XIXᵉ siècle. Les conifères tels que les sapins, les cèdres ou les pins, qui ont franchi frontières et océan, sont multipliés et implantés, comme le célèbre cèdre du Liban du parc.
Le réseau hydraulique du parc est transformé, et les frères Gratian, maçons à Sassenage, modifient l’ancien système d’irrigation de la prairie et aménagent ponts et canaux pour créer un ruisseau appelé rivière anglaise. Elle termine sa course dans une cascade et se divise ensuite en deux bras pour créer une île, l’un des ornements principaux du parc paysager. Les couleurs du parc, changeantes selon les saisons, se reflètent dans ces eaux aux formes diverses.
Grâce à des archives datant de la période des plantations, nous savons que plus de 3000 arbres et arbustes sont plantés entre 1853 et 1856.
Certains arbres présents aujourd’hui ne datent pas de cette plantation, mais plutôt des années 1900, où les jardiniers accompagnent l’émergence de groupes d’arbres composés d’espèces spontanées (érables planes, sycomores, frêne commun, charmes…).
Les arbres s’expriment de manière libre et sauvage, non taillés, en port libre : ils restent en mouvement.
XXIe siècle : La restauration du parc
Dans la seconde partie du XXᵉ siècle, le parc souffre des assauts du temps : disparition partielle des cheminements, comblement des rivières et canaux, envahissement par la végétation spontanée, vieillissement du peuplement et absence de renouvellement, ou encore chutes d’arbres. Les qualités propres à chacune des trois phases d’aménagement du parc – à la française, anglo-chinoise et paysagère – tendent à s’effacer, provoquant des difficultés à lire son épaisseur historique et artistique.
La dernière marquise, Pierrette Elisa de Bérenger, née en 1894, s’éteint sans descendance directe en 1971. La même année, elle crée la Fondation de Bérenger-Sassenage et lègue le domaine du château à la Fondation de France afin qu’elle en assure la gestion et la conservation. Depuis lors, le château et ses collections se visitent, tandis que le parc est ouvert gratuitement au public.
La restauration d’un monument historique signifie la mise en œuvre de moyens destinés à assurer sa conservation et sa transmission. La Fondation de France a eu recours à une équipe de maîtrise d’œuvre pluridisciplinaire composée d’un architecte des jardins, Jérémy Dupanlou, d’un historien des jardins, Jérémie Curt, et d’un bureau d’études en économie, Betrec. Elle a œuvré aux côtés de nombreux acteurs mobilisés au profit du projet : conservateurs et jardiniers du château, services de l’État. Le travail réalisé a été primé de la part de l’association Patrimoine Aurhalpin : prix aurhalpin de patrimoine 2020 mention réalisation
Un plan de gestion a vu le jour pour aider le propriétaire à planifier, sur une durée déterminée, les actions à entreprendre pour assurer l’entretien et la restauration. Il a permis d’établir le projet du jardin de demain : quelles valeurs patrimoniales, quelles techniques, quels matériels et moyens de conservation et de jardinage, quelles relations au vivant, quelles capacités d’exploitation, quel potentiel de valorisation, et quels travaux de restauration.
Les travaux se sont déroulés en plusieurs phases :
- Évaluation sanitaire des arbres existants avec prises de décisions suivant les rapports (abattage, renforcement, intégration, protection…).
- Restauration de la cour d’honneur avec la remise en eau des douves grâce à la reprise des parements et à la replantation des tilleuls d’alignement.
- Restauration du jardin anglo-chinois, qui était la partie la plus dégradée du parc. Les allées sont restaurées, et de nouveaux massifs sont plantés pour recréer une promenade paysagère où se succèdent les cadrages pittoresques vers le château, les arbres d’exception, les artifices du jardin. L’eau s’écoule de nouveau : cascatelle, rivière, ou encore le grand paysage.
- Restauration du parc paysager avec la requalification des cheminements, et des plantations qui masqueront à terme les murs et habitations proches. La disparition de certains groupes d’arbres à moyen terme a été anticipée par de nouvelles plantations à proximité. Le réseau hydraulique est entièrement restauré grâce au curage autour de l’île et au remodelage de ses berges. Restaurations de ponts, chutes d’eau et aqueducs. Plantations diverses et variées redonnant au jardin sa poésie et ses évocations de paysages lointains.






Au total, ce sont environ 2 000 arbustes et 200 arbres qui seront plantés à cette occasion, avec une palette végétale travaillée selon les époques du jardin, mais aussi dans le choix des textures, des teintes et des formes multiples.
Le jardin actuel
Les premières floraisons nous font redécouvrir des couleurs et des odeurs qui avaient déserté le parc depuis de nombreuses années.
Les vieux arbres, parfois bicentenaires, si précieux, sont l’objet de l’attention des jardiniers, tandis que le renouvellement du végétal assure la croissance du patrimoine arboré de demain.
Les visiteurs découvrent ou redécouvrent ce témoignage rare et complet de 350 ans d’art des jardins en Dauphiné.
La gestion différenciée et ses pratiques suivent un cercle vertueux. Elles sont régies par le plan de gestion que nous actualisons avec le temps et l’expérience. Chaque « déchet vert » est valorisé sur site grâce au broyage, au compost, aux tas de bois ou haies de Benjes. Les tontes et tailles sont raisonnées selon les floraisons. Le désherbage est effectué de manière alternative aux produits chimiques.



Haie sèche dite de « benjes »
Fauche de la prairie au broyeur à fléau
Désherbage mécanique alternatif
Un rucher, au sein du parc, participe à sa pollinisation et à la confection d’un miel. L’élagage est assuré par le CFPPA de Saint-Ismier, avec des classes d’apprentis qui viennent pratiquer dans le parc. Des manifestations culturelles, comme des interactions avec des classes ou des lectures pour les enfants, ont lieu afin de transmettre la sensibilité du vivant. Des associations comme Les Voyageurs des Cimes permettent à des personnes à mobilité réduite de grimper dans les arbres avec du matériel spécialisé.



Production de miel toutes fleurs du parc
Travaux d’élagage par le CFPPA
Ascension du cèdre du Liban par les Voyageurs des cîmes
Les jardins sont entretenus en cherchant le juste équilibre entre la nature et le jardinage. Riche par sa biodiversité, le lieu est propice à la flânerie et à la détente ; calme, il permet de venir se ressourcer dans un paysage grandiose.
Le livre Le parc du château de Sassenage de Jérémie Curt et Jérémy Dupanloup, publié aux éditions PUG, rassemble l’ensemble de ces informations de manière approfondie et est disponible à la vente à l’accueil du château ou auprès des jardiniers au prix de 13 €.
Crédit photos © Jean-Luc Jam – © Elisabeth Reynard – © Bastien Joffre – © Chang Liu – © Eric Hurtado – © LocalFocus by WZA