La maison Bérenger-Sassenage

« La maison de Sassenage a pris son nom d’une grande et spécieuse Terre, seconde Baronie de Dauphiné […] Il est peu de grandes maisons qui, remontant jusqu’à leur origine, ne rencontrent une fable : celle de Sassenage y trouve Mélusine ».


Nicolas Chorier – Histoire généalogique de la maison de Sassenage, branche des anciens comtes de Lyon et de Forest, 1669.

Des origines féériques : « Si fabula, nobilis illa est » !

Aux sources, on trouve Mélusine…

Représentée sur la façade du Château, la fée Mélusine semble veiller depuis des siècles sur les Bérenger-Sassenage !


D’après la légende, cette jeune fée des eaux, touchée par un sortilège, est vouée à se transformer tous les samedis, ses jambes devenant une queue de serpent !
 La famille de Sassenage assurait descendre de Mélusine, mariée à un mortel, et dont l’histoire a pour décor les environs du Château…

Relief représentant Mélusine portant les blasons des familles De Bérenger et Sassenage

Assurant descendre de la maison des comtes de Lyon et du Forez, les Bérenger-Sassenage se sont appropriés les armes et la légende de la fée Mélusine rattachées à cette famille.

Il était une légende…

Tout commence avec un certain Raymondin, fils du comte de Lyon et du Forez, de séjour auprès de son oncle, le Comte du Poitou. Au cours d’une partie de chasse, Raymondin tue accidentellement son oncle et, pris de panique, il prend la fuite et se perd dans les bois.

Au détour d’un chemin, certainement proche d’un cours d’eau, il fait alors la rencontre d’une magnifique jeune femme : Mélusine. Ensorcelée par sa mère Présine, épouse du roi d’Albanie, Mélusine était condamnée à se transformer tous les samedis en créature mi-femme mi-serpent jusqu’au jugement dernier. La durée de ce châtiment pouvait être écourtée si elle se mariait à un chevalier promettant de ne jamais chercher à percer son secret. Mélusine voit alors en Raymondin celui qui pourra la libérer de sa malédiction.

Mélusine de Sassenage, peinture sur faïence, non datée – Château de Sassenage – n°594

En échange d’un mariage et de la promesse de ne jamais chercher à savoir ce qu’elle faisait le samedi, la fée promet au jeune fuyard une vaste terre et une nombreuse descendance. Raymondin accepte et respecte durant de nombreuses années cet étrange serment. Le couple coule des jours heureux et a même dix enfants.

Toutefois, un jour, poussé par la curiosité, Raymondin perce un trou dans la porte de la chambre de son épouse et la découvre dans son bain au moment de sa mutation. Trahie, Mélusine s’envole par une fenêtre du château pour trouver refuge dans les cuves de Sassenage.

On raconte que la fée avait coutume de survoler la région pour veiller sur sa descendance et qu’elle poussait un cri de lamentation pour prévenir de la mort d’un seigneur de Bérenger-Sassenage, trois jours avant que le malheur n’arrive.

Fiers de leur origine féérique, les Sassenage choisissent la légende de Mélusine pour devise :

« Si fabula, nobilis est ! » (Si c’est une fable, elle est noble !)

D’où nous vient la fée des eaux ?

Selon un tournoi à Romans en 1484 / par le Dr Ulysse Chevalier, « Louis de Sassenage, fils aîné du baron (…) portait sur son timbre une Mélusine ». Ainsi, depuis la fin du Moyen-Age, la famille de Bérenger-Sassenage est en lien avec la fée des eaux dont le personnage nous viendrait originellement des Ligures (qui occupaient les Alpes), et qui vouaient un culte à la déesse de la fécondité Lucine. Cette divine créature aurait été transformée au fil de l’histoire en Mélusine.

L’histoire de la Maison, de l’an Mil au 17siècle

Arbre généalogique des familles De Sassenage et De Bérenger.
Archives du Château de Sassenage – n°475

Les Sassenage descendraient des comtes de Lyon et du Forez et se seraient établis en Dauphiné vers l’an mil. Au 14e siècle, la famille se lie aux Bérenger du Royans et étend son influence sur la partie Nord du Vercors et ses alentours : la Maison Bérenger-Sassenage était née ! Au fil des alliances, elle devint l’une des plus puissantes familles dauphinoises et atteignit le rang de seconde Baronnie du Dauphiné. Ses membres occupent alors de hautes charges au sein de la société (évêques, militaires, conseillers des Dauphins…).

Ils évoluent sur un territoire qui conservera longtemps son autonomie : appartenant au Saint-Empire Romain Germanique, le Dauphiné est rattaché au Royaume de France en 1349. Endetté et sans héritiers, le dernier Dauphin indépendant -Humbert II- cède son Etat au roi de France Philippe VI via le Traité de Romans mais s’assure, en échange, que le Dauphiné garde son statut particulier. Le Dauphiné sera traditionnellement réservé à l’héritier du trône de France : les fils aînés des rois de France prendront ainsi le titre de « Dauphin » dès leur naissance. 

Devises et armoiries

Les premières armoiries des Bérenger-Sassenage sont empruntées aux Princes de Royans, et représentent le lion. Prenez garde, deux fauves de pierre gardent, aujourd’hui encore, l’entrée du Château…

La devise de la famille, « Si fabula, nobilis illa est », (« Si c’est une fable elle est noble », en référence à la légende de Mélusine), peut varier : Jacques de Sassenage adopte « Une sur toute » par amour, et les Sassenage de Pont-en-Royans lui préfèrent « J’en ai la garde du pont » !

Armoiries des Sassenage – Archives du Château de Sassenage – R36 (extrait du terrier de la paroisse d’Autrans)
Armoiries des Bérenger

La naissance du Domaine au XVII ᵉ siècle

L’ambition de Charles de Sassenage

Charles-Louis-Alphonse de Sassenage (1624-1679) ) – Château de Sassenage – n°974

Aux 15e et 16e siècles, la maison Bérenger-Sassenage s’affaiblit au fil des héritages : les seigneuries sont divisées entre les descendants mâles et le patrimoine familial s’émiette progressivement.

Dispersées au cours des successions, les terres des Sassenage sont petit à petit rassemblées au 17e siècle. Pour illustrer ce renouveau et affirmer le prestige de sa famille, Charles fait bâtir le Château, entre 1662 et 1669, à l’emplacement d’une maison-forte détruite pour l’occasion en 1661, considéré jusqu’alors comme le second château de la famille à Sassenage.

Avec cette construction, il souhaite impressionner, marquer les esprits et illustrer la puissance de sa famille ! Les décors des salles sont également au service de ce programme ambitieux…

Au milieu du 17e siècle, Alphonse de Sassenage marie son fils Charles à Christine Salvaing de Boissieu, fille unique du très influent Denis Salvaing de Boissieu. Ce dernier n’est autre que le premier président de la Chambre des Comptes de Grenoble.  Il aide son gendre à faire bâtir un château d’apparat, prompt à afficher la puissance retrouvée des Bérenger-Sassenage !

L’élévation du Château

Le Château de Sassenage s’élève donc avec l’aide de Denis Salvaing de Boissieu, au pied du Vercors, non loin des ruines du Château féodal de la famille de Sassenage. L’architecte valentinois Laurent Sommaire est chargé des travaux qui vont nécessiter huit années (1662-1669). Il est bâti en pierre calcaire de Sassenage et se situe au cœur d’un magnifique parc, que l’on fait alors aménager en jardin à la française.

Denis Salvaing de Boissieu (1600-1683) 1er président de la chambre des comptes du Dauphiné – Château de Sassenage – n°184

Le cycle d’Enée : le message de Joseph de Sassenage

Au décès de son père en 1679, Joseph-Louis-Alphonse (1662-1693), hérite de la bâtisse et fait réaliser un décor allégorique à la gloire des Sassenage dans la grande salle du rez-de-chaussée, aujourd’hui appelée « salle des états ». Sculptures en stuc et toiles du peintre Louis Cretey soulignent les valeurs fondatrices de l’aristocratie guerrière du Grand Siècle : valeur militaire et protection de la lignée. 

Énée et la sibylle – Toile de Louis Cretey vers 1680 – Château de Sassenage – n°975

Les tableaux de Louis Cretey reprennent des scènes mythologiques tirées de l’Enéide : au fil des épreuves que rencontre Enée, (jeune troyen, ancêtre mythique des romains, et dont les parents ne sont autres qu’Anchise et Vénus).

La famille Bérenger-Sassenage expose au regard des visiteurs un ensemble à sa propre gloire, faisant siennes les qualités du jeune héros.

Enée et la Sibylle de Cumes

Ce tableau dépeint la rencontre entre Enée et la Sibylle de Cumes, prêtresse qui communique avec les morts. La Sibylle est ici médiatrice entre Enée et le monde des Enfers, dans lequel elle guide le jeune héros. 

Vénus demande des armes à Vulcain pour Enée

Dans cette scène, tirée du livre VIII de l’Enéide, Vénus demande à son époux Vulcain de forger des armes pour Enée et ses compagnons. La guerre étant devenue inévitable, la déesse s’assure ainsi que son fils remporte les combats.

À la mort de Joseph de Sassenage en 1693, la quasi-totalité des meubles du château sera cependant vendue afin de rembourser des dettes. Les descendants préfèreront d’autres demeures au Château de Sassenage, qui sera délaissé pendant 80 ans.

Vénus demande des armes à Vulcain pour Énée – Toile de Louis Cretey vers 1680 – Château de Sassenage – n°975

XVIIIᵉ siècle : une muse à la Cour

Marie-Françoise-Camille : Dangereuses Liaisons ?

Portrait présumé de Marie-Françoise-Camille de Sassenage jeune (1704-1786) – Château de Sassenage – n°532

Au 18e siècle, la Marquise de Sassenage se distingue à la cour de Louis XV, et intègre le cercle de Madame de Pompadour ! Grande esthète, elle passe commande auprès d’artisans renommés.  Revenue en Dauphiné, elle anime avec éclat la vie mondaine grenobloise. « Libertine », indépendante, elle aurait inspiré Choderlos de Laclos pour le personnage de Mme de Merteuil dans les « Les Liaisons Dangereuses »…

Durant la majeure partie du 18e siècle, le domaine est la propriété de Marie-Françoise-Camille de Sassenage (1704-1786) qui toutefois n’y séjourne pas.

Née en 1704, Marie-Françoise-Camille est l’unique héritière de sa branche familiale ce qui pousse ses parents  à la promettre en mariage à son grand cousin : Charles-François de Sassenage, afin de réunir le patrimoine familial. L’union ayant été célébrée, la jeune marquise quitte le Dauphiné pour aller vivre dans la famille de son époux, à Paris.

L’expérience de la vie à Versailles…

Après avoir été présentés à la Cour en 1736, les époux Sassenage s’installent à Versailles suite à l’obtention par Charles-François de la prestigieuse charge de menin du Dauphin : il entre au service du fils aîné de Louis XV, et devra veiller sur lui.  

De son coté, Marie-Françoise-Camille crée un solide réseau de relations. Elle est une amie proche de Jeanne-Antoinette Poisson, future Madame de Pompadour, favorite du Roi. Cette amitié de longue date, animée par une passion commune pour le théâtre, donne de nombreuses occasions à Marie-Françoise-Camille de compter parmi les proches de Louis XV.

Le Marquis de Luynes écrit  à ce sujet en octobre 1746 « le Roi soupa lundi dans ses cabinets. Les Dames étaient Mmes d’Estrades, de Sassenage et de Pompadour. Ce sont toujours à peu près les mêmes, ces trois-là ».

Charles François de Sassenage (1704-1762) – Château de Sassenage – n°529

Un esprit indépendant

Devenue veuve en 1762, la Marquise de Sassenage quitte Versailles pour s’installer à Paris. Loin de se replier dans un veuvage pieux, comme le voudrait l’usage, elle multiplie les activités mondaines et loisirs, comme la promenade sur les boulevards. Elle y achète aux marchands ambulants des biscuits, chocolats, glaces et sirops d’orgeat : sa passion du chocolat est telle que 15 tablettes sont retrouvées dans sa table de nuit lors de l’inventaire après décès !

La Marquise de Sassenage a également une autre passion : le jeu !  Jeux de hasard et jeux de cartes font alors fureur dans les salons et Marie-Françoise-Camille n’échappe pas à cette fièvre ! Tric-trac et piquet se jouent sans réserve, même si les jeux d’argent sont alors officiellement interdits.  On conserve au Château de Sassenage plusieurs tables à jeu commandées par la Marquise aux célèbres ébénistes Hache

Bien que le statut juridique de la femme au 18e siècle soit considéré comme mineur au regard de celui de l’homme, Marie-Françoise-Camille obtient en 1738 la séparation en biens de son époux, afin de protéger son patrimoine des dettes de ce dernier. Le couple reste cependant uni et continue à vivre sous le même toit.

À 67 ans elle quitte Paris pour Grenoble. Elle ne réside pas dans son château de Sassenage puisqu’elle l’a loué à un entrepreneur désireux d’y installer une manufacture de dentelle.

Faites vos jeux ! Table à jeu, cartes à jouer et coffret de loto du 18e siècle.

Logée près de l’actuelle place de Lavalette, elle participe et organise des évènements mondains et s’impose dans la vie grenobloise par son nom prestigieux et son expérience de la Cour. 

La nouvelle « Reine » de Grenoble aime se divertir, et affiche une personnalité joyeuse et affirmée. L’avocat François Letourneau écrira d’ailleurs qu’« [elle] respire le plaisir plus qu’une jeune femme de quinze ans, elle aime les bals, les fêtes, les soupers brillants ; elle donne à jouer et fait avec prodigalité les frais de tous ces plaisirs ».  

Une muse en son temps

Marie Françoise Camille de Sassenage (1704 – 1786)
Château de Sassenage – n°309
Les Liaisons dangereuses

Cette personnalité hors du commun fera écrire au chevalier de Mautort que Pierre Choderlos de Laclos, lors de son séjour à Grenoble de 1769 à 1775, se serait inspiré de la Marquise de Sassenage pour créer le personnage de Madame de Merteuil dans les liaisons dangereuses. A ce jour la question n’est pas tranchée et il semble plus vraisemblable que plusieurs femmes aient inspiré l’auteur.

Marie-Françoise-Camille demeure la muse de nombreux écrivains de son temps. Plusieurs d’entre eux lui dédieront des textes ou la mettront en scène dans leurs œuvres

Muse, esprit libre dans la France des Lumières, Dame de Cour, la Marquise s’éteint à l’âge de 82 ans lors d’un voyage à Lyon en 1786. Elle lègue tout son patrimoine à sa dernière fille, mariée à un Bérenger. 

De Sassenage à Bérenger 

Du mariage de Marie-Françoise-Camille et de Charles-François sont nés six filles et un seul fils, mort quelques jours seulement après sa naissance.

Le patronyme et la lignée des Sassenage sont donc voués à s’éteindre.

Marie-Françoise-Camille est parvenue à assurer la conservation du patrimoine au sein de la même famille en nommant héritière universelle sa plus jeune fille, Marie-Françoise-Camille de Bérenger (1738-1810), mariée depuis 1755 à Raymond-Pierre de Bérenger du Guâ (1733-1806). 

Ils ont un fils, Raymond-Charles-Ismidon, à qui la marquise de Sassenage lègue par anticipation en 1775 le domaine de Sassenage.

Rappelons que les Bérenger et les Sassenage ont une ascendance commune. Par ces dispositions testamentaires, Marie-Françoise-Camille de Sassenage favorise ainsi la réunion de deux grands héritages : celui des Sassenage et celui des Bérenger.

Portrait présumé́ du jeune Raymond-Charles-Ismidon de Bérenger (1762-1828) Château de Sassenage n°332
Portrait présumé́ de Marie-Françoise-Camille de Bérenger Sassenage (1738-1810) – Château de Sassenage – n°261

Le domaine sous la Révolution

Raymond-Pierre dans la tourmente révolutionnaire

Chevalier des ordres du Roi, Raymond-Pierre est à Paris lorsque les premiers troubles révolutionnaires éclatent. Sa correspondance, conservée dans les archives, présente un témoignage passionnant de ces moments clés ! 

Il suit à distance les travaux au Château tout en luttant pour qu’il ne soit pas saisi par l’Etat. D’exil en emprisonnement, d’exécution en « miracle », l’histoire de la famille s’avère tourmentée…

A la fin du 18e siècle, le château de Sassenage va connaître de très grandes transformations. Six années de travaux (de 1785 à 1790) sont orchestrées par Raymond-Pierre de Bérenger qui agit au nom de son fils, Raymond-Charles-Ismidon, devenu propriétaire du domaine de Sassenage dès 1775. Contrairement à l’aspect extérieur qui a été globalement conservé, l’intérieur du château va être profondément transformé.

Raymond Pierre de Bérenger (1733-1806) – Château de Sassenage – n°29

Les travaux de rénovation du château, entrepris dès 1785, n’ont pas été interrompus pendant la Révolution.
À cette époque, Raymond-Pierre de Bérenger a joué un rôle essentiel. À Paris, il assiste en 1789 aux événements révolutionnaires, continue à diriger la fin des travaux au château de Sassenage et tente de sauvegarder le patrimoine familial par tous les moyens.

Vivre la Révolution, entre Paris et Grenoble 

Raymond-Pierre de Bérenger se trouve à Paris et son homme d’affaires, Jean-Baptiste Aimard, en Dauphiné, lorsque les premiers événements révolutionnaires éclatent. La correspondance entre les deux hommes, conservée dans les archives constitue un précieux témoignage de ces moments clefs.

Le 15 juillet 1789, le marquis écrit à Jean-Baptiste Aimard pour lui faire part des événements parisiens de la veille :

Assiette en faïence XVIIIe (époque Révolutionnaire) illustrant la réunion des 3 ordres : Le clergé, la noblesse et le tiers état) – Château de Sassenage – n°42

«  […] le trouble qui existe depuis longtemps dans la capitale fait oublier ses propres affaires, […] le prévôt des marchands de la ville ainsi que le gouverneur de la Bastille ont été décolé par le peuple hier, et leurs testes portées en triomphe dans les rues de Paris, qui est fort calme et fort tranquille aujourdui, les bourgeois y font la police et nous délivre de toute la canaille qui s’y etoient introduits. Il y a des gens bien mal intentionnés qui soufflent le feu de la discorde. Il faut esperer qu’a la fin nous aurons de la tranquillité ».

Jean-Batiste Aimard évoque dans ses lettres l’épisode de la Grande Peur. De juillet 1789 à août 1790, des rumeurs inquiétantes se répandent : des brigands menacent d’égorger les paysans, de brûler les villages et de piller les récoltes.

Les campagnes sont en alerte, les paysans s’arment et des milices villageoises se forment. Aimard fait mention d’une panique générale sur les terres de Sassenage.

Le château risque d’être incendié mais les habitants de la ville se déclarent prêts à le défendre : les aménagements lancés par Raymond-Pierre depuis Paris fournissent du travail à des journaliers et manœuvres des environs, qui ont besoin de leur revenu dans un contexte de crise alimentaire. Le Château sera donc épargné, comme la plupart des domaines dans le baillage du Grésivaudan.

Correspondance entre Aimard et le marquis de Bérenger – Archives du Château de Sassenage

Cependant, les incidents se multiplient dans Paris, causant l’inquiétude d’Aimard quant au devenir du Marquis : Lettre de Jean-Baptiste Aimard à Raymond-Pierre le 5 Novembre 1789 :  

« Sortés, je vous en conjure, de cette misérable ville [Paris], je vai mettre toute la scelerité possible pour faire finir votre château pour que vous puissiez l’habiter en avril ou tout au moins au commencement de may ».

Après être venu s’installer à Sassenage, Raymond-Pierre de Bérenger est arrêté, le 28 Avril 1793 (en pleine Terreur) et écroué à Grenoble avec son homme d’affaires. Leurs noms figurent sur la liste des suspects, à emprisonner immédiatement, pour le département de l’Isère.

Après un an et cinq mois de détention, Aimard est finalement libéré. Transféré à la prison de la Conciergerie, le marquis de Bérenger, qui n’a donné aucune preuve d’incivisme, est libre de retourner vivre à Sassenage, le 2 novembre 1794.

Exécution Louis XVI le 21 janvier 1793. © Archives du Château de Sassenage

Durant la détention de son époux, Marie-Françoise-Camille de Bérenger (1738-1810) réside au château de Sassenage, désormais meublé. Pour ne pas être inquiétée, elle se comporte en citoyenne irréprochable et manifeste son soutien à la République en faisant don de draps, de couvertures et de matelas pour l’armée des Alpes.

Portrait présumé de Françoise-Camille de Bérenger ( ?-1827) – Château de Sassenage – n°530

« Sauve la vie »

Le devenir des trois enfants de Marie-Françoise-Camille et Raymond-Pierre de Bérenger témoigne des épreuves subies par la noblesse sous la Révolution.

Françoise-Camille de Bérenger, mariée au Duc de Saint-Aignan, est arrêtée avec son époux en Mai 1794. Après un jugement au tribunal révolutionnaire, son mari est guillotiné, mais elle, enceinte de trois mois, voit son exécution repoussée à la naissance de l’enfant. L’exécution de Robespierre, en Juillet 1794, mettant fin à la Terreur, les charges retenues contre Françoise-Camille sont alors abandonnées. Elle donne naissance le 1er Janvier 1795 à une petite fille, Pauline-Arthémie, qu’elle aurait surnommée « Sauve la vie » ! 

Des intérieurs remaniés au 18ᵉ siècle 

Loué à un entrepreneur en vue d’y installer une Manufacture de dentelle (la Blonde), le Château subit, de 1770 à 1784, des dommages importants. Peu soucieux d’honorer leur engagement (réaliser des réparations utiles au bâtiment), les entrepreneurs de la fabrique y logent près de 400 jeunes filles orphelines ou abandonnées, censées être formées au métier de dentellière. Les mauvaises conditions de vie des jeunes filles et les dégâts causés dans le château motivent, en 1784, la décision de Raymond-Pierre : le bail n’est pas renouvelé.

Dès lors, la famille reprend le domaine en main. Les travaux commandés par le marquis de Bérenger occasionnent alors un bouleversement dans l’agencement des pièces afin d’adapter la demeure aux normes et à l’art de vivre en vigueur. 

Le Boudoir bleu – Château de Sassenage

De nombreuses cloisons sont installées, permettant d’optimiser la distribution des appartements et de créer des espaces spécifiques : cabinets (ou boudoirs) et garderobes (cabinets de toilette). Au rez-de-chaussée, Raymond-Pierre de Bérenger fait aménager une bibliothèque. Des entresols sont également construits pour créer de nouveaux logements destinés aux domestiques. 

Le deuxième étage est entièrement aménagé. Au 17e siècle, ce niveau correspondait aux combles et ne comptait que quatre pièces. À la fin des travaux commandés par le marquis, on en dénombre dix-sept, essentiellement réservées aux invités, aux domestiques ou au rangement.

Avec son épouse, Raymond-Pierre refont la totalité du jardin jusqu’alors à la française, pour un jardin pittoresque d’inspiration anglo-chinoise.

« Embleme pittoresque, Présentee a Madame la Marquise de Berenger le 21 juin l’an 1799 Par son tres humble et tres obeissant serviteur. Curten »

XIXᵉ siècle : le romantisme « sans clichés »

Le parc « dans l’œil du photographe » : Raymond-Ismidon-Marie de Bérenger

Passionné d’horticulture, Rayond-Ismidon-Marie remanie le parc du Château dans un style romantique, en cadeau de mariage pour son épouse. En 1853, 3000 arbres et arbustes sont alors plantés ! Le marquis photographie le Domaine, les environs et sa famille, notamment son épouse, dessinatrice talentueuse. 
Le parc, fruit d’une évolution sur plusieurs siècles, est aujourd’hui un patrimoine protégé. Le petit-fils de Raymond-Pierre, Gabriel, épouse en 1810 Cécilia de Boisgelin. En 1811 naît de ce mariage Raymond-Ismidon-Marie de Bérenger (1812-1875).

Raymond se trouve orphelin de père très tôt, puisque Gabriel décède à Dresde en 1813, sur le champ de bataille. Cet officier d’ordonnance de Napoléon tombe lors de la dernière victoire importante que connaît l’empereur en Allemagne, contre les forces austro-russo-prussiennes.

Après avoir entamé une carrière politique à Paris, Raymond-Ismidon-Marie y met brutalement fin en 1848, lorsque tombe la Monarchie de Juillet. Il partagera alors sa vie entre la capitale et son château à Sassenage. 

Raymond-Ismidon Marie de Bérenger (1811-1875) par G Margain en 1862. © Archives du Château de Sassenage – A780-27
Vue du Château de Sassenage dans les années 1850 par Jules Guédy.
– Château de Sassenage – n°327

Un artiste au jardin 

Dans ses terres, le Marquis s’adonne pleinement à sa passion pour la photographie. Paysages locaux, château, parc, membres de la famille : rien n’échappe à son œil d’artiste, qui capture essentiellement ses clichés en 1853.  

Le château depuis l’allée de marronniers en 1853 par Raymond-Ismidon-Marie de Bérenger. © Archives du Château de Sassenage – CA_sn03

Friand de tableaux paysagers et passionné d’horticulture, il remanie le parc du Château dans un style anglais, créant ainsi des vues poétiques sur le Vercors, le Château et la Chartreuse, et faisant la part belle à une nature -en apparence- sauvage. Chemins sinueux et espaces secrets se côtoient pour donner au parc du Domaine de Sassenage une atmosphère romantique…

Aujourd’hui classé Monument historique, le jardin a atteint sa maturité : le tableau imaginé par son auteur prend vie dans toute sa majesté.

Le parc est ouvert à la visite gratuitement, chacun peut venir admirer les arbres remarquables ou encore flâner le long de la promenade du Couchant.

Si Raymond se passionne pour la photographie, son épouse préfère le dessin et la peinture, pour lesquelles elle se révèle particulièrement douée. Constance-Marie-Lucie, dite Lucie, apprend notamment à représenter les paysages grâce à Ernest Hébert, qui immortalisera ses traits à plusieurs reprises.

L’orpheline par Ernest Hébert – Château de Sassenage – n°231

Ernest Hébert

Cousin de Stendhal, Ernest Hébert (1817-1908) est formé à la peinture et la sculpture auprès de plusieurs maîtres : Benjamin Rolland, David d’Angers, Paul Delaroche, mais aussi Jean-Auguste-Dominique Ingres. 

Loué pour son talent de son vivant, Hébert reçoit nombre de commandes officielles sous le Second empire et sera lui-même Directeur de la Villa Médicis. Il s’éteint à 91 ans dans sa demeure de La Tronche (38), devenue aujourd’hui Musée Hébert.

Plusieurs œuvres du peintre sont visibles dans le Château de Sassenage, aujourd’hui encore. Spécialiste du portrait féminin, il représente majoritairement des femmes aux regards nostalgiques, dans des tons modulés.

« Hébert ne fut pas un portraitiste à proprement dire. Il peignit des femmes quand elles lui plaisaient et je lui connais peu de portraits d’hommes… Amour du modèle, amour de son art, voilà les deux secrets du niveau extraordinairement élevé de ses toiles ».

Joseph Peladan, écrivain et critique d’art, Ernest Hébert, Paris, 1910, cité dans le catalogue d’exposition « L’aristocrate et la Chambre noire, Raymond de Bérenger, Marquis de Sassenage » du Musée Hébert, 2009.

Lucie et Raymond de Bérenger deviennent parents d’un petit Raymond-Pierre de Bérenger en 1872, dernier Marquis de la Maison et futur époux de la piquante Pierrette-Elisa

Lucie de Bérenger par Ernest Hébert – Château de Sassenage

XXᵉ siècle : protéger et transmettre

Le legs de Pierrette-Élisa…

Pierrette-Elisa Baudin épouse Raymond de Bérenger en 1922. Dans les années 60, elle multiplie les recherches pour connaître les œuvres des collections et contacte des spécialistes afin de les protéger au mieux.

Elle s’éteint en 1971, sans enfant, et lègue le Domaine à la Fondation de France. Ses vœux ? Protéger le Château et faire connaître l’histoire des Bérenger-Sassenage ! Sa foisonnante correspondance, conservée au Domaine, offre un aperçu des épisodes majeurs du 20e siècle…

Pierrette dans la chambre du château de Sassenage qu’elle a fait restaurer.
© Archives du Château de Sassenage – A790-1

Fille de l’ancien Ministre des travaux publics et de la marine et député-sénateur de l’Ain Pierre Baudin (1863-1917) et de Françoise Jacqueline Alice Lafargue, Pierrette donne l’impulsion d’ouvrir le Château au public et s’intéresse vivement à l’histoire des collections. 

Son mari, Raymond (le fils du Marquis photographe), se passionne pour l’industrie (il participe à la mise au point d’une recette de chaux inédite), et s’implique citoyennement : il sera Maire de Sassenage durant deux mandats. 


Écharpe de maire de sassenage appartenant à Raymond. © Château de Sassenage
Raymond de Bérenger devant le château de Sassenage © Archives du Château de Sassenage – A780-27

Robert Weismann : correspondance d’un poilu

Robert Weismann.© Archives du Château de Sassenage – A780-27

La future marquise de Bérenger correspond de 1914 à 1919 avec un ami médecin militaire, Robert Weismann, envoyé au front. Cet ensemble de lettres constitue un passionnant témoignage … 

« Ma chère Pierrette, Me voilà de nouveau en terre d’exil réduit à vivre avec des souvenirs […] J’ai trouvé à mon retour le secteur agité et j’ai fort affaire, mon confrere de service venant d’être blessé au cours d’un violent bombardement de notre poste de secours où j’ai perdu aussi un de mes brancardiers.

Aujourd’hui, les Boches ont bombardé notre cantonnement avec de grosses marmites [obus], il y a longtemps que cela ne les avait pas pris. Le capitaine d’une de mes compagnies qui est un de mes amis a été blessé et j’ai eu un sapeur tué. Il y eu d’autres victimes. En somme c’est notre vie ici : passer par alternatives brusques d’une inaction presque complète à un travail trop intense ».

La famille et le domaine sous la seconde guerre mondiale

Pierrette épouse Raymond de Bérenger en 1922, et le couple s’installe dans un premier temps à Paris.

Dès les années 1930, le couple réside principalement boulevard Courcelles à Paris, et au château de la Bothelleraye, délaissant celui de Sassenage.

En 1936, craignant que son épouse ne puisse gérer et entretenir seule les biens familiaux s’il venait à disparaître, Raymond commence à rechercher des acquéreurs sérieux pour son château à Sassenage. En 1939, lorsqu’éclate la seconde guerre mondiale, Raymond n’a toujours pas trouvé d’acheteur et le château fait l’objet de réquisitions.

Ainsi, du 10 septembre au 30 novembre 1939, on installe dans la demeure un service d’intendance pour les besoins de la défense nationale puis, en avril 1942, un bureau de chômage du secrétariat d’état au travail. 

Afin d’éviter d’autres réquisitions, le marquis demande et obtient en août 1942 le classement du château et du parc au titre des Monuments historiques.

Mariage de Raymond de Bérenger et Pierrette Elisa en 1922. © Archives du Château de Sassenage – A780-24

Malgré cette démarche, le domaine est à nouveau occupé. Au mois d’août 1944, une formation allemande s’installe au rez-de-chaussée et fait paître ses chevaux dans le parc. En septembre, sur ordre de la Préfecture, le château est réquisitionné au profit d’une formation américaine comprenant sept officiers, une quarantaine de soldats et quelques camions. La population féminine de Sassenage est alors conviée à un grand bal populaire organisé par les militaires dans la grande salle du rez-de-chaussée. Raymond de Bérenger demande l’appui de Charles Halley, architecte en chef des Monuments historiques sur Paris, pour mettre un terme à cette réquisition.

Enfin, de juillet à octobre 1945, seules les dépendances du château seront occupées par une troupe de l’armée d’Afrique.

Château de la bothelleraye en Bretagne.
© Archives du Château de Sassenage – A780-26
Les pilotes à Pipriac !

Durant la seconde guerre mondiale, Raymond et son épouse résident principalement au château de la Bothelleraye, à Pipriac (Bretagne). Pierrette et Raymond y cachent des pilotes américains originaires du Minnesota, de Californie, du Texas et du Michigan. En remerciement pour cet acte, la Marquise recevra un courrier signé par le Président des Etats-Unis, Dwight Eisenhower, aujourd’hui encore conservé au Château de Sassenage.

Un des pilotes accueilli par les Bérenger se nommait Sidney J.Elkes et était originaire du Texas.

Parachuté sur Nantes le 23 septembre 1943, ce Lieutenant faisait partie du 379e Bombardment group. Après une mission de vingt jours il est parachuté une seconde fois sur le territoire français (peut-être est-ce à cette issue qu’il est caché à la Bothelleraye) ? Il se rend ensuite en Espagne et repart aux Etats-Unis. 

Citation ordre de la division pour Pierrette de Bérenger – Archives du Château de Sassenage – A990-7
Remerciement du Président Américain
Archives du Château de Sassenage – 8

Ouvrir les lieux au public et connaître les collections…

Après la seconde guerre mondiale, Pierrette, devenue veuve, revient au Château de Sassenage et décide d’en apprendre plus sur les collections. Elle établit plusieurs inventaires et contacte de nombreux spécialistes afin de mieux connaître les œuvres présentes au Château. C’est notamment grâce à ces recherches que nous connaissons l’histoire de la majorité des objets exposés et conservés au Château de Sassenage !

En 1971, sans héritiers, elle lègue le Domaine de Sassenage et ses collections à la Fondation de France (créée en 1969), avec la volonté que la mémoire de la Maison Bérenger-Sassenage soit préservée, et que les lieux soient ouverts au public.



Le livre Le château de Sassenage de Lise Soulbieu, publié aux éditions PUG, rassemble l’ensemble de ces informations de manière approfondie et est disponible à la vente à l’accueil du château ou auprès des jardiniers au prix de 12 €.

Crédit photos © Etienne Eymard Duvernay – © Elena Bezhenova et Pavel Rogatov.